Couverture du journal du 03/05/2024 Le nouveau magazine

Tribunal administratif : « Un régulateur incontournable du fonctionnement de la société »

Eric Kolbert, président du tribunal administratif de Rennes, a tenu la traditionnelle audience solennelle de rentrée. L'occasion de rendre compte de l’activité très variée de la juridiction couvrant les quatre départements bretons, dont les stocks de dossiers ont connu une hausse de 7 % en 2023, frôlant les 7 000 entrées*.

Eric Kolbert, au centre, président du tribunal administratif de Rennes ©SB_7J

Eric Kolbert, au centre, président du tribunal administratif de Rennes ©SB_7J

Au tribunal administratif, les juges ne portent pas de robe, attribut symbolique, qui répond à un besoin d’identification vis-à-vis du justiciable, à un effacement de la personne derrière l’incarnation d’une juridiction et à la nécessaire solennité. Sans doute est-ce là le dernier bastion à conquérir de ces juges pour obtenir leur totale reconnaissance comme véritables magistrats. Eux qui ont progressivement obtenu « le décorum des lieux de justice, la possibilité de tenir des audiences d’installation et des audiences solennelles et, avec la loi du 20 novembre 2023, l’institution de la prestation par les magistrats administratifs d’un serment, tel que le rappelle le président Kolbert. On ne peut que se réjouir d’une évolution qui nous éloigne définitivement de la silhouette floue d’un simple fonctionnaire investi de missions juridictionnelles. »

Une activité en hausse

Eric Kolbert ©SB_7J

Une reconnaissance méritée pour ces juges au très vaste champ de compétence : le contentieux urgent des étrangers par exemple qui, au tribunal de Rennes, pèse près de 30% des dossiers (+ 23% par rapport à 2022), les contentieux sociaux représentant 12,1% des entrées (+12% par rapport à 2022), le contentieux de la fonction publique (12,9% des entrées) ou encore le contentieux de l’urbanisme et de l’environnement, 11,8% de l’activité, près du double de la moyenne nationale. Si le magistrat administratif est juge de proximité, il est aussi juge de dossiers de haute volée sur le plan technique, « impliquant un traitement collégial plus complexe avec une instruction plus exigeante ». Sans parler du rôle que joue la juridiction dans l’organisation des enquêtes publiques. S’ajoutent à cela de nouvelles prérogatives, « dont le législateur lui avait enfin reconnu l’exercice », à savoir le pouvoir d’injonction et les procédures de référé.
Un foisonnement qui fait dire à Eric Kolbert : « le juge administratif a progressivement acquis la place d’un régulateur incontournable du fonctionnement de notre société. » 

En 2023, le tribunal a jugé 6927 dossiers (valeurs brutes), soit + 4,4% par rapport à 2022

Impact de la loi immigration

Au vu des nouveautés législatives, la charge de travail ne risque pas de s’amenuiser.  Après avoir « salué l’effort de simplification » de la récente loi immigration qui ramène à trois catégories de procédures le contentieux des étrangers, au lieu de la douzaine actuellement en vigueur, le président, toujours en attente des décrets d’application, glisse subtilement qu’il faudra à sa juridiction savoir s’organiser dans les six prochains mois pour « absorber » ce nouveau dispositif.
D’autre part, la loi comporte une disposition qui va « considérablement compliquer la tâche »  du juge administratif « mais aussi de l’ensemble des parties » : dans les cas de mises en rétention, les audiences devront se tenir dans des salles d’audience aménagées à proximité ou dans le centre de rétention, ou, à défaut, en visioconférence, cas dans lequel il faudra prévoir un second greffier au centre de rétention. « Inutile de vous dire qu’aucun chiffrage sur le coût de ces dispositifs n’a jamais été fourni pour justifier une externalisation aussi flagrante vers la juridiction administrative de charges qui n’ont normalement pas vocation à lui incomber. Sans parler de la question de principe de la tenue d’un procès équitable et du respect des droits de la défense. »

Le contentieux de la mer

William Desbourdes et Ophélie Thielen ©SB_7J

Pour conclure, Eric Kolbert a cédé la parole à William Desbourdes et Ophélie Thielen, sur un autre thème sensible : l’environnement, et plus spécifiquement la mer. Les magistrats ont égrené quelques dossiers dont :

– le projet de parc éolien en mer dans la baie de Saint-Brieuc (22) à l’occasion d’un recours du comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins qui reprochait au préfet maritime – dont un arrêté encadrait la navigation le temps des travaux – de ne pas avoir interdit la circulation d’un navire, qui avait accidentellement déversé en mer des substances potentiellement polluantes ;
– la commune de Plouvien (29) qui a préféré céder à une commune voisine une partie de son territoire, notamment dans le but d’autoriser un projet éolien qui avait été interdit par le tribunal;
– la légalité de procès-verbaux des douanes ordonnant le gel du porte-conteneurs Vladimir Latyshev à Saint-Malo (35) ;
– les modalités selon lesquelles l’agence régionale de santé de Bretagne évaluait la qualité des eaux de baignade au regard de la concentration de certaines bactéries, modalités que le tribunal a censurées;
– Et, évidemment, le dossier des algues vertes.

*valeurs brutes, comprenant les dossiers de séries